GR20 – Jour 2/3

3h15, le réveil sonne. Je me mets debout directement et je passe en mode automatique sans trop penser à la journée à venir. Il me faut une quinzaine de minutes pour être dans la voiture à demi prêt mais comme j’ai 30 minutes de voiture pour revenir à mon point d’arrêt de la veille, ça me laisse le temps de faire mon petit déj’ et finir de préparer mon sac. Mathilde cherche les sanglochons qui dorment sur le bord de la route, pendant que je travaille à ne pas avoir de nausée.

Arrivé au col je descends de la voiture. Il fait frais, je dois sortir la veste. Un petit message d’encouragement de la part de Mathilde avant qu’elle n’aille redormir et je me mets en route. La première demi-heure de cette journée est roulante et permet de courir et de me réchauffer.

Je profite d’avoir acheté une frontale de qualité, qui a une fonction automatique qui permet à mon éclairage d’augmenter en puissance quand j’accélère et vice versa, pour avancer comme en plein jour. L’adaptation automatique du faisceau est aussi une motivation pour continuer à courir sans quoi à la marche on a l’impression de marcher quasiment dans la nuit.

J’arrive sur la première section montante de la journée dans laquelle je m’étais perdu la dernière fois. Aujourd’hui, impossible de se perdre. Un ange gardien a entouré tous les signes du GR par une peinture invisible de jour mais qui accroche la lumière de la frontale à plus de 100 m.

Le ciel est magnifique, la montagne calme, j’avance jusqu’au lac de Ninu, une des « must have » de Corse. D’ailleurs pas besoin de faire tout le GR pour profiter de la vue, une randonnée à la journée fait une jolie boucle qui vous amène sur ce point de vue magnifique. J’aime beaucoup voir les contours du lac qui se détachent à peine de la nuit. Pour parfaire le tableau, le sol scintille sous le faisceau de la frontale. Le scintillement vient du fait qu’avec l’humidité du lac, l’eau a gelé sur l’herbe qui l’entoure. Je vis toujours bien les jambes à l’air, par contre je m’arrête pour m’équiper en froid avec les buffs et les gants que je vais garder 2 bonnes heures.

J’arrive au refuge de Maganu a 7h15. Pause rapide avant de repartir vers une ascension sérieuse. Rapidement après le refuge, un groupe de randonneurs est à moitié perdu. Je trace tout droit, je me suis déjà perdu ici, j’ai bien imprimé l’itinéraire dans ma tête. C’est d’ailleurs assez fou à quel point le cerveau est capable de se rappeler de détails de 4 ans auparavant, dont tu n’avais aucune idée qu’ils pourraient te resservir un jour.

Je monte, je descends, ça devient un peu une rengaine. Arrivé au refuge de Petra Pinta, c’est le moment des choix. Historiquement le GR avait un tracé mais pour le rendre accessible au plus grand nombre certaines parties du tracé plus techniques ou aériennes ont été déplacées dans la catégorie variantes. Les variantes ont plusieurs avantages. Elles sont plus rapides car on les trace souvent par les crêtes plutôt que de descendre la montagne, la contourner pour la remonter. Elles sont aussi plus jolies, ce qui est une des raisons de leur tracé d’origine. Si on ajoute à ces arguments le fait que j’ai pris le tracé sans cette variante la dernière fois, vous comprenez que je n’ai pas trop hésité pour la prendre cette fois.

Assez rapidement après la sortie de Petra Pinta, on arrive sur les crêtes avec une vue à 360°. A votre droite la mer, à votre gauche un autre massif, le tout dans un décor très minéral. Je prends le temps de prendre quelques photos, même une vidéo. J’avance à bon rythme mais je prends le temps dans les passages techniques, les glissades dans le coin peuvent vous amener plusieurs centaines de mètres plus bas. Il faut également être assez concentré sur le balisage. Il y a peu de rochers très hauts ou d’arbres. Les marques rouges et blanches sont donc souvent au niveau du sol peu visible de loin.

Après en avoir pris plein les yeux pendant 2h, j’arrive au refuge d’Onda vers midi et demi. Je suis très étonné de ne rien reconnaître du tout. J’y suis pourtant obligatoirement passé la dernière fois mais je ne reconnais rien. Je ne sais pas où est l’eau, d’où repart le GR. Quand j’attaque la montée après ce refuge, je n’ai aucun souvenir de celle-ci, alors que jusqu’à présent j’avais en mémoire chaque montée. Ma meilleure théorie est que la dernière fois j’étais très fatigué et que mon cerveau a arrêté l’enregistrement de ce qui se passait.

Le temps défile, je vois que mon rythme de la journée confirme une journée de 18h de course. Dans ces cas-là, il n’y a pas mille solutions pour terminer la journée, il faut mettre un pied devant l’autre pour se rapprocher du lit, mais avant ça je passe par un petit boost de moral. Dans la descente sur Vizzavona, Mathilde m’attend. On court 2 ou 3 km ensemble jusqu’à la voiture où je prends le temps de me ravitailler, à l’ombre aujourd’hui 😊Ce boost de moral était important, car j’avais un assez mauvais souvenir de la section à venir : peu intéressante et longuette. Je ne sais pas si c’est le conditionnement, mais j’ai effectivement trouvé cette section longue et sans grand intérêt.

Juste avant l’arrivée au refuge de Capella, j’ai croisé un mec qui récupérait de sa journée de marche en faisant des anneaux. Pour ceux qui ne sont pas sûr de comprendre. Le monsieur avait attaché 2 cordes avec des anneaux à une branche, un peu comme au JO. Jusque là je me disais, ok le mec veut faire un peu de muscu car il trouve que le GR est un peu trop facile à faire en mode rando. Puis il s’est mis à faire la planche pendant une bonne minute !!!! Je me dis qu’il y a une sacrée différence de niveau entre lui et moi, dont le plus gros exploit en gymnastique doit être d’avoir fait la planche à la piscine.

J’attaque la dernière section de la journée et il faut que je vous explique la conversation que Guillaume conscient a eu avec son pilote automatique pendant 3h.

Moi – Avis à tous les organes et membres, demande d’autorisation pour courir.

Cœur – 60 BMP de réserve Go !

Poumon – Je peux même chanter si tu veux, Go !

Pieds – Que tu cours ou que tu marches ça ne change rien pour nous, on te le fera juste payer la semaine prochaine, Go !

Centrale énergétique – Cool, on pourra manger encore plus après. Go !

Moi – aller c’est parti

Pilote automatique – Non

Moi – Tout le monde est ok c’est quoi le problème ?Pilote automatique – Je n’ai pas été prévenu.

Moi – Mais tout le monde est ok.

Pilote automatique – Pas moi. Si je ne suis pas prévenu 50 m en avance, je ne lance pas le mode course

Moi – Tu es pénible. On se met à courir aux prochains cailloux.

Pilote automatique – … ok

Moi – Bon tu cours.

Pilote automatique – Ah tu ne parlais pas du caillou là-bas ? C’est vrai qu’ils se ressemblent un peu tous.

Moi – Cours, bordel !

[Mode course activée]

[30 secondes plus tard]

[Mode automatique réactivé]

Moi – Qu’est ce qui se passe ?

Pilote automatique – On a couru 100 m, c’est bien non ?

Moi – On a 10 bornes à faire ça va être long tu sais…

[Mode course activée]

[Mode automatique réactivé]

[Mode course activée]

[Mode automatique réactivé]

[Mode course activée]

[Mode automatique réactivé]…

La batterie de mon téléphone commence à me lâcher. Adieu la musique, dernier réconfort de cette longue journée. Je me lance donc dans un karaoké d’anthologie avec pour public les sanglochons et les oiseaux nocturnes. Ils ne semblent pas particulièrement gênés par le fait que je ne connaisse que le refrain des chansons et que je les chante en boucle. Merci à Renaud, Garou et mes auteurs inconnus. Je finis par arriver sur les parties roulantes dont je me rappelais. Je fais planter le pilote automatique et finis cette journée en trottinant tranquillement.

Il est 22h. Mathilde n’est pas exactement au refuge car elle doit se réfugier dans la voiture pour avoir du réseau. Elle me rejoint rapidement avec de la nourriture, que je mange assis par terre dehors dans le froid car la cuisine se trouve dans le dortoir et que je n’ai pas envie de réveiller tout le monde.

Je suis content d’être arrivé car cette journée a été la plus dure mentalement. A ce stade, je sais que sauf gros pépin physique je vais finir ce foutu GR. Je n’ai toutefois pas vraiment le temps de vraiment savourer. En effet, mon plan original était de dormir 6h par nuit et de partir à 4h tous les matins. Le problème c’est que les mathématiques ne sont pas d’accord pour qu’en me couchant à 23h, je puisse dormir 6h et partir à l’heure. Je pèse le pour et le contre et je décide de donner la priorité au sommeil par rapport à l’heure de départ.

Je règle mon réveil sur 5h30. Je dors déjà, à demain.