GR20 – Jour 3/3

5h30, je sors de ma grasse matinée. Réveil difficile, l’impression d’avoir une gueule de bois. Côté jambes, c’est raid. Le pire arrive au moment où je pose les pieds au sol. En temps normal, j’ai la chance d’être peu sujet aux ampoules mais là il semble que j’ai dépassé la limite de ce qui est acceptable. Je compte les ampoules : sept. Évidemment placées à des endroits bien stratégiques. Je me lance dans un chantier de rénovation à base de Compeed. Quand je finis par me mettre debout, je suis tout de suite beaucoup moins confiant sur ma capacité à finir le GR. Je clopine jusqu’à la voiture située 300m plus loin et je ne l’atteins que grâce au support de mes bâtons.

J’entame mon déjeuner à base d’une baguette molle de la veille. J’inspecte mes chaussures et j’arrive à la conclusion qu’elles ont définitivement fait leur temps. Le talon commence à se détacher, les crampons deviennent lisses quand ils ne se décrochent pas eux aussi. L’histoire que je devrais raconter, c’est que je suis quelqu’un de très prévoyant et que j’ai l’exact même paire de chaussures en plus neuve. La réalité, c’est que lors d’un week-end choc à Chambéry, j’avais tout simplement oublié de prendre mes baskets, j’ai dû aller en racheter en urgence le matin. Du coup j’ai 2 fois la même paire de baskets, et je me suis dit autant prendre les 2 on ne sait jamais ça peut servir.Je finis tant bien que mal par me mettre en route et là, la magie opère. Il y a une demi-heure, j’étais au fond du trou et là je troti-cours et tout va bien. Je suspecte mon corps de faire un peu de simulation le matin au réveil pour essayer de me démotiver à me remettre en route, mais une fois que c’est parti il se dit que tant qu’à être là autant être efficace pour finir la journée au plus vite.

Il est à peine 7h et j’entends des bruits assez forts dans la montée. Quelques secondes plus tard, un cavalier descend avec 2 autres chevaux attachés derrière lui, dont un qui me fait bien comprendre que ma place n’est pas sur le chemin. Je les laisse passer et je me demande si gardien de refuge c’est une bonne situation. Perdu dans mes pensées, quelques minutes plus tard, je suis un peu surpris de voir un cheval sans cavalier suivi d’un chien me foncer dessus à toute allure. J’ai tout juste le temps de me mettre de côté, qu’ils me passent. Après une analyse logique, je me dis que le 4ème cheval à du rater son réveil et essaie de rattraper les copains avant que le cavalier ne s’en rende compte.

J’arrive sur un des segments du GR dont j’ai le plus mauvais souvenir tellement le temps était dégueulasse la dernière fois. Je me rappelle avoir tracé dans la brume et l’orage et être arrivé au refuge où j’avais dû prendre un lit car personne n’arrivait à planter sa tente sous le vent (à lire avec en tête l’air de Garou). Aujourd’hui, il fait beau, la montée est presque parfaite. J’ai juste une petite douleur en haut du dos. Il semble que mon CamelBak ne soit pas bien mis. J’ai la flemme de le sortir et de bien le remettre, alors je continue. Au moment de boire une gorgée d’eau depuis le tuyau du CamelBak, je me fais arroser comme si quelqu’un en face de moi me tirait dessus avec un pistolet à eau. Je comprends rapidement, qu’avoir demandé à Mathilde de remplir le CamelBak avec de l’eau pétillante, n’était peut- être pas une super idée. Maintenant, en dehors du fait de sentir une bosse dans le dos, je trouve ça plutôt cool de pouvoir me tirer de l’eau dans la bouche. Je continue à m’amuser avec le tuyau jusqu’en en haut.

Là, super levé de soleil avec vue sur la côte Est de la Corse. J’ai bien pris 2-3 photos pour essayer de restituer l’atmosphère qu’il y avait, mais il n’y a rien de mieux que d’être sur place pour apprécier le paysage, alors il va falloir mettre vos chaussures.

J’arrive au refuge de Prati un peu avant 7h30. Je n’ai pas besoin de me recharger en eau, mais je me dis que ça serait quand même bien de m’occuper de mon sac. Quand je sors, le CamelBak, il ressemble à un ballon trop gonflé. J’essaie de l’ouvrir, mais entre le gaz qui est ressorti de l’eau et l’altitude qui fait que les gaz se dilatent, la pression est trop forte, le CamelBak ne veut pas s’ouvrir. Je retourne la poche à eau et j’aspire le CO2 par le tuyau. Une super méthode pour reprendre son souffle après une bonne montée, ou pas. Voila ma poche est dégonflée, je peux réinstaller mon sac convenablement et me remettre en route.Comme je suis parti « tard » ce matin, il y a plein de monde dans la montagne et ça me fait plaisir. Chaque randonneur est un mini objectif à atteindre qui permet d’oublier la longueur de la journée. J’avance tranquillement, je gagne pas mal de temps sur les copains aux gros sacs à dos car c’est assez technique avec du devers. Les paysages sont magnifiques, le temps passe vite.10h30, arrivé au refuge d’Usciolu. Je prends le temps de bien me restaurer et m’hydrater car j’attaque le plus long segment entre 2 refuges. Le nouveau tracé du GR découpe d’ailleurs cette étape en 2 étapes, mais encore une fois, pour une question de temps et qualité des paysages, j’opte pour l’ancien tracé.

Je repars en terrain peu technique sur les crêtes, mais c’est toujours aussi beau. Puis j’attaque la descente où je prends la bifurcation pour la variante. Là j’ai plusieurs kilomètres courables, du jamais vu depuis le début du GR. J’en profite pour mettre un peu de rythme. En parlant de rythme, un marcassin me fonce dessus tête baissée à un bon train. Il finit par lever la tête. Freine des 4 pattes en faisant de la poussière comme dans les films. Saute dans les fourrés depuis lesquels j’entends des GrrGrr, qui ont l’air vachement mature pour un marcassin. J’ai des jambes, mais probablement pas assez pour semer une maman sanglier au sprint, j’évite donc de trop m’attarder dans les parages.

Arrive le moment embarrassant de la journée. Celui où tu te dis que tu as besoin d’aller aux toilettes, maintenant, alors que le prochain refuge est à encore 3h. Tu te dis que tu vas passer en mode nature, jusqu’à ce que tu réalises que tu as oublié les mouchoirs dans ton pantalon dans la voiture. Là tu te dis que ça va être vraiment très nature. Je profite de l’expérience prise en Inde pour solutionner tout ça avec une gourde et un buff.

J’attaque donc la montée allégé en me demandant si oui ou non je raconterai cet épisode. Vu ce que vous venez de lire, je pense que vous connaissez la réponse à cette question.

Trop perdu dans mes pensées, je rate des balises et je me perds dans la montée. Le souci est que je ne suis pas certain de retrouver mon chemin en revenant sur mes pas. J’observe tout autour de moi voir si un chemin se dessine. L’autre problème c’est qu’il y a des dizaines de chemins. Les vaches du coin en créent des nouveaux dès qu’elles voient une touffe d’herbe apparaître quelque part. Je galère pendant bien 10 minutes avant de décider de me localiser avec mon téléphone, chercher où se trouve le chemin et tirer un trait droit pour rejoindre les 2 points. La stratégie fonctionne bien, si on omet que 2 semaines après ce passage j’ai toujours les marques de griffures sur les jambes.

Depuis là-haut on voit le refuge d’Ascinau. Il y a également une pancarte qui indique Ascinau 1h30, alors que ce n’est que de la descente. Je me rappelle très bien de cette descente et c’est une purge.[Ellipse temporelle]45 min plus tard, je suis au refuge. Je remercie les concepteurs des semelles Vibram qui font que j’arrive à tenir debout sur des dalles à 60°. D’ailleurs, s’il y a des danseuses qui me lisent, n’hésitez pas à faire cette descente pour travailler votre extension de pied, je ne connais pas mieux.

A l’arrivée au refuge, un agent du parc me demande si j’ai réservé ou pas, j’explique que je continue. On échange rapidement sur la météo et le fait de prendre la fameuse variante des Aiguilles de Bavella. Pour lui, si je ne crains pas le côté Alpin, il faut prendre les Aiguilles. En même temps, Mathilde me confirme que les Aiguilles qui étaient sous les nuages 2h plus tôt, se dégagent. Je n’ai pas besoin de beaucoup plus pour me décider à prendre la variante. J’apprends d’ailleurs que le record du GR s’effectue en empruntant toutes les variantes. Ce qui signifie qu’en dehors du Cirque de la solitude, je suis sur le chemin des champions.

Me voilà en haut des Aiguilles de Bavella. C’est super beau et je n’arrêtais pas de dire ça dans les 10 jours suivants car depuis la côte Ouest on les voit très bien au-dessus des autres montagnes. C’est aussi le dernier endroit vraiment exceptionnel de ce GR, ce qui est moins bien pour la motivation, surtout que l’heure avance et que je sais que je vais finir dans la nuit. J’attaque la descente pour rejoindre Mathilde qui m’attend pour le ravitaillement. La descente est comme d’hab longue et technique et je finis par faire ma première chute sur ce GR. Rien de méchant, je me relève, je continue.

J’arrive à la voiture, Mathilde m’attend avec un café 😊 et elle a acheté une bière pour l’arrivée, autant dire qu’elle sait comment me motiver sur cette fin de journée. A noter que pendant tout ce temps-là Mathilde n’est pas restée inactive. Aujourd’hui elle a également pu faire les Aiguilles. C’est d’ailleurs agréable de pouvoir échanger sur les tronçons que l’on a tous les deux faits. Quand je parle de terrain technique les gens s’en font une certaine idée, mais quand on le vit on se rend compte de la couche de difficulté que ça ajoute.

J’attaque cette dernière partie en commençant par un tête à tête avec une biche. Elle est à quelques pas. Elle se fige en me voyant. Puis se remet à brouter pendant que je la prends en photo. Cependant à la seconde où je me suis remis à marcher en sa direction, elle est partie comme une flèche dans les fourrés. Cette fois, pas de bruit étrange, je continue ma route sereinement.

Seconde chute ! Les cailloux se cachent sous la poussière et ça devient compliqué de les éviter. Encore une fois rien de très méchant, ça a juste rouvert les blessures d’une chute de cet été. Je me relève au son de la Compagnie Créole. La montagne fait caisse de résonance et amplifie la musique qui vient du refuge situé un peu plus loin. J’arrive au refuge quelques minutes plus tard où une joyeuse bande de randonneurs met l’ambiance, une Pietra à la main. J’échange une petite blague avec eux, mais je ne peux pas m’éterniser, la montre joue contre moi.

Et là c’est looooooooooooooooooooooooooong ! Très long. Vraiment long. D’après mon tableau de marche, je n’ai que 160m de D+ puis ça ne fait que descendre. Du coup, quand je passe les 200m de D+ je commence à trouver le temps long à tel point que je m’arrête pour comparer l’altitude de Conca, l’arrivée, avec l’endroit où je me trouve et que je vois que j’ai encore 400 m de D- à descendre. Je repars et ça remonte, ça redescend et ça remonte. De vraies montagnes russes. Mon téléphone n’a de nouveau plus des masses de batterie et je crains que ma frontale soit dans la même situation, sachant que j’ai fait le choix stupide de ne pas prendre ma seconde frontale au ravitaillement. Je réduis donc la puissance de ma frontale pour économiser de la batterie. J’informe Mathilde que je passe hors ligne et je me mets à avancer comme je peux. Dans mon souvenir je devais passer une montagne en forme d’ours, qui n’arrive pas. Je marche, cours, trottine et je ne vois toujours pas ces 2 ours. J’en ai marre. J’ai envie qu’on vienne à ma rencontre. J’ai envie de m’arrêter là, de dormir et de repartir demain. Maintenant, il me reste tout de même assez de lucidité pour savoir que la porte de sortie la plus proche à ce stade, reste de finir le GR, alors j’utilise la célèbre technique du pied devant l’autre pour avancer. Une petite vérification le lendemain me confirme mon impression. Le site d’après lequel j’ai basé mon plan de marche n’a pas les bonnes données pour la dernière étape, il manque 200m de D+.

Je tombe enfin sur les 2 ours. La vraie descente commence afin, tout comme la pluie… ça aurait vraiment été dommage d’avoir un temps parfait du début à la fin. Normalement la pluie ne me dérange pas, je viens de Normandie. J’ai aucun souci à m’entraîner sous la pluie au quotidien. Le problème, là, est qu’il ne pleut pas assez. Le sol couvert de poussière se tachète et il devient impossible de distinguer une pierre d’une autre, ce qui complique beaucoup la pose du pied. Pas d’autre choix que d’y aller franco, en espérant ne pas se faire une cheville sur les derniers kilomètres.

J’arrive au dernier pont bien plus tôt que dans mon souvenir et j’attaque la dernière descente sur la route. C’est bon, la pancarte de fin du GR est à moins de 2 km, je lâche les derniers watts en réserve. J’apprécie de pouvoir courir, même si ça descend sacrément fort pour de la route.

J’aperçois enfin Mathilde, la meilleure supportrice, qui est sortie de la voiture malgré la pluie pour venir à ma rencontre. On court quelques mètres pour arriver à la pancarte signalant la fin du GR. C’est fini ! I did it ! Le patron du bar voisin en train de sortir ses poubelles à la gentillesse de retourner allumer la lumière pour prendre la photo finish ! C’était une belle aventure. J’en ai pris plein les yeux. Il est temps de prendre la route car demain Mathilde plonge aux aurores pendant que je m’apprête à ne rien faire.

Si j’arrive à mettre ça en forme, je ferai peut-être un ou deux derniers billets pour vous racontez un peu comment s’est passée la préparation et comment s’est passée la récupération.