Mon premier 100 km

Pourquoi courir 100 km ?

C’est une question qu’il est légitime de se poser. L’histoire commence il y a 5 ans, quand Guillaume-Coin m’a prêté plusieurs livres d’un de mes auteurs préférés : Haruki Murakami. Parmi ces livres il y en avait un assez différent de ce que fait Murakami habituellement. Il s’agit d’une autobiographie : Autoportrait d’un coureur de fond, dans laquelle Murakami retrace sa vie, commençant en étant un très gros fumeur et finissant par courir un ultramarathon de 100 km. En lisant ce livre j’étais assez halluciné par le parcours, ainsi que la distance qu’il arrivait à courir même en retirant de l’équation le fait qu’il était ancien fumeur. Comme il présentait ça de façon relativement simple, sans que l’on ait l’impression qu’il soit un surhomme, je me suis dit qu’un jour j’aimerai vérifier par moi-même la faisabilité de courir sur d’aussi longue distances. Je crois pouvoir dire que c’est le départ de mon intérêt pour la longue distance à pied.

Préparation

Comme expliqué précédemment, cette idée de courir 100 km était rangée quelque part dans ma tête, mais sans échéance particulière pour l’effectuer. Cette année, je devais participer à une grosse course début septembre. De plus, nous avons un projet à base de 3 mois de vélo en avril 2021 avec Mathilde, autant dire que les 100 km ne rentraient pas spécialement dans ma planification.

Ma grosse échéance, le 80 km sur le trail du Mercantour, n’a pas été la réussite espérée, car malgré 6 mois de préparation j’ai dû abandonner à mi-parcours. J’ai appris plein de choses de cette course, il n’en reste pas moins que j’étais énormément frustré. Une fois la phase de récupération effectuée, le projet 100 km a commencé à revenir très régulièrement dans ma tête au point où j’avais acté que je tenterai de faire 100 km d’ici la fin l’année 2020.

Et là tout s’accélère…

Dès le retour de notre périple de 800 km en centre France à vélo, j’apprends que le tournoi de Terraforming Mars pour lequel je me suis inscrit le samedi suivant est annulé, par suite des décisions gouvernementale. Je suis grognon et bougon.

Le lendemain, je décide que les 100 km seront pour ce week-end. Je commence à réfléchir à faire le GR21, GR Normand le long des côtes passant notamment par Etretat. Je me renseigne, mes parents ne seront pas là, je n’aurais donc pas de base avancée de ravitaillement, mais qu’à cela ne tienne, je connais bien la région. Je commence à regarder le bus, les trains, où commencer et dans quel sens.

Le lendemain, je commence avoir une bonne ébauche du projet, jusqu’à ce qu’un autre Guillaume vienne me parler du voyage que nous venons de faire avec Mathilde. Au fils de la discussion, je lui parle du projet du week-end. Il envisage un temps me joindre sur une partie du parcours, mais il se rend compte qu’il y a 2h de route depuis Amiens, là où il habite.

J’ouvre mon navigateur : Ctrl + t, ctrl + k, “gr amiens”

Et voilà je suis en train de découvrir le GR800 ! Il part de Saint Valéry sur Somme et passe vers Amiens autour des 80 km. J’en parle à Guillaume, qui me dit ok pour faire une partie avec moi, que oui je peux déposer des affaires chez Justine et lui et même rester le soir de la “course”.

Je réserve mon hôtel, c’est parti !

Voyages

Le vendredi soir, je pars pour rejoindre St Valéry sur Somme. Dans le train je me rends compte que j’ai oublié à la maison l’une des rares choses que j’avais préparé : mon repas du soir. Il en faut un peu plus pour m’inquiéter. Je profite de mon heure de correspondance à Amiens pour faire des courses et déposer mes affaires de rechange chez Guillaume et Justine. Je repars en direction de la gare dans ma tenue de course du lendemain.

Après une triple vérification sur internet, c’est confirmé, il n’y a pas de moyen de transport entre ma gare d’arrivée : Noyelles sur Mer, et mon hôtel à St Valéry. S’il n’y avait pas eu la tempête, j’aurais simplement fait les 10 km en courant, mais l’idée de commencer les 100 bornes avec une tenue trempée ne m’enchante pas. A l’annonce de l’arrivée en gare de Noyelles, je décide de directement demander aux gens si quelqu’un peut m’amener. Rapidement je tombe sur une femme qui me dit que son copain vient la chercher soit en décapotable 2 places, soit en vieille 205. La tempête joue en ma faveur, monsieur n’a pas voulu sortir la décapotable un soir de pluie. Ils me déposent devant mon hôtel.  C’était presque trop facile.

Check-in rapide, je demande si quelqu’un sait où commence le GR 800, personne ne sait. Repas frugale, révision du matos et réveil pour 5h le lendemain.

Course

<<< Sonnerie par défaut de mon téléphone >>>

J’éteins l’alarme du téléphone. C’est parti je suis super excité. Le plan de la journée est simple : boire 50 cl d’eau toutes les heures, manger ce que je veux quand je veux, courir tant que je peux, marcher le plus longtemps possible, ramper s’il faut 🙂

Il faut nuit noire. Le début du GR est introuvable. Heureusement le plan est simple : suivre le canal, puis suivre la Somme jusqu’à Amiens. De temps en temps, je trouve une balise pour me rendre compte 1 km plus loin que je ne suis plus sur le GR. A ce moment-là, je ne sais pas encore que ça sera la thématique générale de la journée.

Côté ambiance, c’est un peu surréaliste. La nuit est très profonde, il y a une épaisse brume. Au loin, dans les prés, je vois des points réfléchissants qui se révèlent être les yeux de lapins qui se demandent ce que je fais ici à cette heure. J’arrive dans un pâturage qu’il faut traverser sans aucun balisage visible. L’air est tellement chargée en eau, qu’avec la frontale je n’arrive pas à voir le bout de mon bâton lorsqu’il est tendu devant moi. Je sors mon téléphone, je mets la flèche du GPS plein Nord et on verra où l’on arrivera.

La nuit commence à se lever, j’ai l’air d’être sur le bon chemin. Les paysages profitent d’un éclairage filtré par la brume, légèrement orangé, même pas besoin de mettre des filtres sur Instagram pour rendre ces images sympas. Du reste, j’avale les kilomètres à 6-6’30 min/km ce qui est un bon rythme pour la distance prévue. Je suis très discipliné sur mes apports en liquide. Aujourd’hui je n’ai vraiment pas envie d’abandonner pour cause de déshydratation. Maintenant, il faut se rendre compte que boire autant quand l’air est très humide et frais mène à avoir envie de pisser littéralement toutes les 20 min, mais je continue à suivre le plan.

Vers 7h, il est temps de recharger en eau. J’ai effectivement fait le choix d’être plutôt léger en ne prenant que 1,5 L d’eau. Je n’avais pas trop de doute qu’en France dans une partie civilisée je trouverai de bonnes âmes pour pouvoir me recharger. Pour ce premier arrêt c’est un pêcheur en pleine préparation avec ses 2 jeunes enfants, qui fait le plein de mes gourdes.

Les kilomètres passent, les erreurs de balisages s’enchainent, mais j’arrive toujours à retomber sur le GR à un moment. Mon plan de nutrition à base de bananes, raisin, compotes, barre de céréales et gâteaux apéritif semble faire l’affaire.

Je fais une pause toilette, je m’écarte de 2 m du chemin et me voilà avec de l’eau jusqu’aux genoux. Bienvenue dans la baie de sommes et ses marais. Maintenant je comprends pourquoi, il faut régulièrement faire des détours, alors que l’on a l’impression que l’on pourrait juste tirer tout droit dans la clairière.

Vers le kilomètre 40 km, je fais une rapide pause, assis sur le bord du trottoir. Je me rends compte que mes grains de raisins se sont transformés en jus et que l’humidité dans mon dos n’est pas de la sueur…  Je savais que cette lingette AirFrance embarquée au cas où pourrait servir. Pendant que je nettoie mon sac, je me fais agresser verbalement par le propriétaire de la maison devant laquelle je me suis assis. Je n’ai pas d’énergie à perdre, ne serait-ce qu’en lui répondant, je reste là avec un certain flegme, sa femme sortira ensuite pour étudier “l’intrut” sur le trottoir. Je finis ma pause et je repars…  me perdre.

En effet, à cet endroit du GR, une boucle optionnelle existe. Je me suis retrouvé à partir sur la boucle, plutôt que le chemin classique. Lorsque j’ai fini par revenir sur mes pas, je n’ai jamais pu trouver le balisage menant vers le GR, j’ai donc fait ma route via Google Map.

Notez que le balisage sur ce GR m’a tellement agacé que j’ai fini par envoyer un rapport complet à la fédération de randonnée locale, qui m’a remercié et m’a envoyé la trace GPX de ce GR. Il faudra que je le retente, à vélo, pour comprendre pourquoi j’ai perdu le GR autant de fois. En attendant, si vous êtes intéressé voici la trace que j’ai effectuée.

Un peu avant le kilomètre 70, je fais une “longue” pause de 15 min dans un bar pour prendre un café. Sur le coup ça paraît être une bonne idée. Dans les faits, au moment de repartir mes jambes sont comme des bouts de bois. A partir de là, une douleur dans le genou droit va apparaître et ne plus me quitter jusqu’à l’arrivée. Toutefois, avec l’expérience j’ai appris à voir les signes avant-coureurs et je commence à marcher très tôt. Au début j’arrive à faire 500 m de marche rapide 500 m de course, puis plus le temps passe plus la proportion de course diminue, pour finir pas être inexistante les derniers kilomètres.

Côté bonne nouvelle, Guillaume est venu me joindre, même si nous avons eu du mal à nous retrouver car nous nous étions tous les deux perdus sur des chemins parallèles. Avoir un équipier m’a vraiment donné un coup de boost au moral. La perspective de marcher les 30 derniers kilomètres tout seul n’était pas réjouissante, mais Guillaume, qui devait faire seulement 15 km avec moi jusqu’à Amiens, a finalement décidé de rester avec moi jusqu’au bout.

Arrivés à Amiens, nous avons décidé de faire une grande boucle qui nous ramènerait directement à Amiens plutôt que d’avoir un prendre un train pour revenir 20 km en arrière. Autant la traversée de Amiens et ses hortillonnages a été une bonne expérience (d’ailleurs si vous ne connaissez pas les hortillonnages, je vous conseils d’y passer 1/2 journée, si vous avez l’occasion de traverser Amiens), autant les alentours industriels et agricoles de Amiens m’ont semblé assez insipides. Il faut dire que l’aventure allait sur son 90ème kilomètre, que la température commençait à baisser et que la nuit faisait son apparition.

Sur 5 derniers kilomètres, Guillaume avait l’air d’avoir envie d’en finir et menait le rythme. J’essayais de le suivre en trotti-clopinant derrière. C’est après 97 km que tu rends compte que les villes ne sont pas faites pour les personnes âgées ou les personnes en fauteuils roulants. A chaque passage piéton, il faut descendre, puis remonter sur le trottoir. Ça me donnait l’impression équivalente à devoir sauter une marche de 50 cm quand je suis en pleine forme.

Arrivée

Et voilà, moi qui pensais que courir 100 km n’était pas possible, j’ai fait le test pour vous et en fait c’est réalisable. Ça demande un peu d’entrainement et ça fatigue un peu quand même 😀 mais en prenant le temps on y arrive.

Après la joie d’être arrivé, une bonne bière et le repas de Justine avalé, il a fallu négocier avec mon corps. Mes jambes étaient devenues 2 grands manches sans articulation de la hanche au pied. Du côté du pied gauche, le muscle tenant la voute plantaire a fait de la rébellion pendant 3 jours en décidant de ne plus se détendre.

Finalement, ces petites déconvenues musculaires et articulaires se sont effacées en moins d’une demi-semaine. J’ai donc repris le chemin de l’entrainement pour le prochain projet qui n’existe pas encore. Du coup, si vous avez des idées un peu sympas à faire à pied en janvier, je suis preneur.

Guillaume